Résumé
L'ancêtre parle, invoque terre, ciel, océan. De multiples voix résonnent; le poème se joue, tambour, espérance et acte de foi. Rien n'est trahison dans cette traversée. Tout porte vers l'incandescence, lumière de nos humanités.
Extrait
pour ma défense
je dirai que je suis poète
les mots m'ont précédé
je n'ai pas tété ma mère
je n'ai pas connu mon père
j'habite loin de mon île
mon ventre n'est pas mon ventre
je n'étais pas convié à ma naissance
L'auteur
Poète, écrivain, essayiste, éditeur, né à Cavaillon (Haïti), Rodney Saint-Éloi est l'auteur d'une quinzaine de livres de poésie, dont Je suis la fille du baobab brûlé (2015, finaliste au prix des Libraires, finaliste au Prix du Gouverneur général), Jacques Roche, je t'écris cette lettre (2013, finaliste au Prix du Gouverneur général). Il est l'auteur de l'essai Passion Haïti (Septentrion, 2016). Le prestigieux prix Charles-Biddle lui a été décerné en 2012. Il a été reçu en 2015 à l'Académie des lettres du Québec et en 2019 à l'Ordre des arts et des lettres du Québec. Il dirige la maison d'édition Mémoire d'encrier qu'il a fondée en 2003 à Montréal.
Je suis la fille du baobab brûlé. Ceci n'est pas un poème. C'est l'arbre qui cherche son visage. Je suis à la fois l'arbre, la fille et la route. J'accompagne celle qui offre à la nuit sa fable et sa voix. Je voudrais aller jusqu'au bout sans connaître le chemin. Je trébuche, dérive et délire. Qu'importe. Un oiseau bat le tambour dans ma tête, une sorcière parle par ma bouche, ou un amour chagrin me tourmente. Tempête je m'appelle tourbillon. J'ai rendez-vous avec les ombres. J'ai rendez-vous avec la première étoile qui tombe. Poussent dans mon ventre des histoires qui recommencent à l'infini. Il y a toujours une vie à faire ou à refaire. On ne sait rien de ce qui ronge ou exalte. Je scelle mon alliance avec l'exil et la folie. Je suis la fille du baobab brûlé. Pour recouvrer mon visage, je dois confier mes secrets aux vents, abandonner à l'arbre mes promesses. Je ne connais ni l'appétit ni la prison de ce qu'on appelle vivre. Je ne songe qu'à marcher dans mes songes. Si je pleure c'est pour me rappeler que j'existe et que j'aime. Je ris trop fort, parle jusqu'à épuisement afin d'aller plus loin, avec la patience de la bergère et l'angoisse des marins. Je suis belle, flamboyante et insolente. J'ai dans une main le soleil et dans l'autre la terre. C'est ma manière de guetter l'éternité. J'ai des seins qui hument poésie et mort. Je suis la fille du baobab brûlé. Je quête terre d'accueil à parole d'aube. Je hurle. Je divague. Je swingue. N'écoutez pas ma voix. C'est mon âme qui craque. Le poème, ou ce qui reste de mon identité, demeure une vérité empêchée. Consumée. Je suis la fille du baobab brûlée.
Haïti est un joyau. Nous en avons pourtant une idée préconçue souvent liée au malheur et à la souffrance. S'il est vrai qu'Haïti a eu son lot d'épreuves avec, entre autres, le régime Duvalier et les catastrophes naturelles, elle est loin de ne se résumer qu'à la misère. C'est avec la verve et la poésie qu'on lui connaît que Rodney Saint-Éloi nous livre dans Passion Haïti un portrait de son pays d'origine qu'il voit fort, contrasté, riche et foisonnant.
Dans ce carnet, on visite le pays à travers les yeux de quelqu'un qui le garde en lui malgré l'exil. On rencontre des personnages qui façonnent le visage d'une Haïti embrassant tant bien que mal ses propres contradictions et ses travers. On y découvre à la fois l'importance de la culture et les couleurs flamboyantes du créole, mais aussi le racisme qui sévit entre les citoyens et les inégalités qui rendent la politique complexe.
Rodney Saint-Éloi est un poète, écrivain, essayiste et éditeur né à Cavaillon en Haïti en 1963. Il a étudié la littérature francophone à l'Université Laval. Son mémoire «Émergence de la poétique créole en Haïti» porte sur l'histoire de la langue créole. Il a fondé en Haïti la maison d'édition Mémoire, le magazine Cultura et la revue d'art et de littérature Boutures. Membre de l'Académie des lettres du Québec, il vit depuis 2001 à Montréal où il dirige les éditions Mémoire d'encrier.
Je marche. je marche. Le poème est un cheval fou, se rappeler, la barque est la route. L'horizon est dans le regard du promeneur. Découvrir une chose douce et amère: des îles, il faut se résigner à foutre la mer dehors afin de pouvoir marcher librement pour célébrer la terre, dans le récitatif qui offre aux mots et aux choses le contrepoint du chant: éloge et mystère. Surtout l'élégance. L'élégance sauve le poème comme le soleil l'été.
" Toute ville est un récitatif
J'apprends du verbe apprendre
le bon usage des rues
les paysages de silence
les plages de l'extase
l'amitié des lauriers
l'élégance de l'oiseau-mouche
l'allaitement des ibis
j'apprends par exemple que la mer est un immense gâteau bleu
les soirs d'orage quand les nuages font la gueule
les femmes couchent côté est
pour aider le soleil à se lever"
En hommage à Louise Dupré, le recueil «Moi tombée. Moi levée» esquisse l'itinéraire de corps qui tombent et se relèvent, suivant le proverbe créole qui veut que toute femme a sept sauts dans l'existence, sept stations d'un long calvaire. D'où l'exigence et la transparence qui travaillent ce recueil. Danse des mots et des visages pour que fleurisse la vie dans ce «voyage abracadabrant», si fragile mais combien humain. Le pari ici demeure cette lumière qui éclaire toute chose, les mots et les êtres qui chutent dans le vertige du verbe tomber.
"Apprendras-tu l'exil
À tes pieds exilés
Là-haut
Tes pieds poudrés
Toucheront le sol
Seulement pour nous rappeler que
Toute terre est fruit d'espérance"
Chacun d'entre nous devrait écrire une lettre à un ami. Écrire ces mots qui rappellent notre présence. Lui dire que la ville est debout, que les bouleaux résistent aux saisons, que les goélands cachent loin des îles leurs cris de liberté. Chacun d'entre nous devrait écrire à quelqu'un pour lui dire que, même assassinés, les amis sont chers. Leur rire nous rend vivants. Honneur à Jacques Roche pour qui j'écris ma plus longue lettre: que c'est triste de mourir, sans ses yeux. Ton visage demeure dans mon souvenir comme un soleil.
"Je revendique la sorcière qui m'enfanta
une nuit mauve
Je revendique la libation qui fit de moi
l'orage des ciels d'octobre
S'il y a un homme c'est ma main libre qui
rencontre le monde
S'il y a une route c'est mon corps aveugle
qui cherche sa mémoire"
Finaliste, Prix des libraires 2022
Résumé
Parlons de racisme puisque le racisme concerne tout le monde. Les écrivains Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban invitent à prendre part à cette conversation délicate, mais combien nécessaire. Ni manifeste, ni manuel, ni acte d'accusation, Les racistes n'ont jamais vu la mer engage le dialogue sur nous-mêmes et sur les autres. Tout s'exprime librement, se confronte et se répond. Les mots. Les expériences. Les idées. Les émotions. Parlons de racisme puisqu'il faut dépasser le repli sur soi. Pour vivre ensemble, autrement.
Les auteurs
Poète, écrivain, essayiste, Rodney Saint-Éloi est l'auteur d'une quinzaine de titres de poésie, dont Nous ne trahirons pas le poème et autres recueils, anthologie de poésie parue aux éditions Points (2021). Il dirige la maison d'édition Mémoire d'encrier.
Romancière et anthropologue, Yara El-Ghadban est l'auteure de trois romans, dont Je suis Ariel Sharon (2018). Elle dirige l'Espace de la diversité, organisme qui lutte contre le racisme et l'exclusion.
Penser le pays autrement.
Faire émerger l'espace de la citoyenneté dans le discours social et dans l'espace public. Les espoirs sont grands et les promesses mirobolantes. Les interrogations qui accompagnent les mots refondation et reconstruction sont légion. Refonder comment? Reconstruire quoi? Pour qui? Pour quoi? Le débat s'ouvre ici avec la voix des citoyens haïtiens, interpellant l'histoire en évoquant les structures et pratiques sociales qui font obstacle au développement du pays. Voici un ouvrage sans complaisance, une utopie afin d'esquisser le visage nouveau du pays à venir.
Dans cette rubrique, nous invitons deux participant·e·s à correspondre au sujet d'une question ou d'un concept donné.
À un moment où les crispations identitaires se multiplient, à travers des discours qui deviennent lois, nous exigeons des citoyen·nes de ce monde d'avoir une vision fixe et définitive de leur identité - comme si celle-ci n'était pas foncièrement poreuse. Nous nous questionnons, dans ce numéro dirigé par Lorrie Jean-Louis, sur l'américanité à partir de l'héritage et des trajectoires caribéennes en tenant compte du sombre legs de la colonisation et de l'esclavage transatlantique. Nous avons voulu déplacer, comme nous l'avions fait il y a deux ans dans notre numéro «Premiers Peuples: cartographie d'une libération», la marge vers le centre.
Nous n'avons évidemment pas la prétention de présenter dans ce numéro un portrait exhaustif de la Caraïbe. Il s'agit, au mieux, d'un certain regard sur les multiplicités rayonnantes de la Caraïbe. Et surtout, il s'agit, nous l'espérons, du début d'un dialogue, d'une réflexion qui se poursuivra à travers nos publications futures.
Lettres québécoises donne la couverture de son numéro de printemps à Jean Désy, une personnalité d'exception. Le poète-aventurier-médecin-professeur - et surtout profond humaniste - poursuit depuis 1986 une oeuvre protéiforme et allergique aux barrières. Il nous offre ici son autoportrait en « Amériquoise nordicité » et partage une rencontre avec Rodney Saint-Éloi. Le dossier de ce numéro nous propose quant à lui un portrait de l'UNEQ (Union des écrivaines et des écrivains québécois), qui protège et célèbre les acteurs de notre littérature depuis quarante ans. Puis, les nombreuses et habituelles recensions critiques. En roman, les nouvelles parutions de Normand Cazelais, Sophie Bienvenu, Larry Tremblay et Ying Chen; en récit, Victor Lévy-Beaulieu et un ouvrage autour de Mark Twain; en poésie, les voix puissantes de Chantal Neveu et Louise Dupré; en essai, la passion de la chronique littéraire selon Jean-François Crépeau et le Prix du Gouverneur général 2016 de Michel Morin; et finalement, en roman graphique, le tour de force S'enfuir de Guy Delisle.
Au sommaire de ce numéro d'automne se retrouve le poète d'origine haïtienne Rodney Saint-Éloi, fondateur de la maison d'édition Mémoire d'encrier et récemment admis à l'Académie des lettres du Québec. Les pages qui lui sont consacrées incluent notamment un autoportrait et un entretien effectué par Dany Laferrière. Lettres québécoises nous propose également un dossier sur l'ANEL (Association nationale des éditeurs de livres), regroupement toujours aussi pertinent près de 25 ans après sa fondation : des enjeux de taille, tels que la question épineuse du droit d'auteur ainsi que les défis de la littérature numérique, y sont abordés. Le numéro renferme de nombreux comptes rendus sur tous les ouvrages qui comptent, autant en roman (les nouveautés de Robert Lalonde ou de Sergio Kokis) qu'en poésie, en essai ou en bande dessinée. La rubrique « premier roman » met en exergue Les Murailles d'Érika Soucy. Complétez votre lecture par un portrait de la maison d'édition Héliotrope, qui fête ses 10 ans.
Nous livrons des bruits récoltés en passant au tamis la clameur du monde. Bruits de l'enfance, bruits de la vie,
bruits de la mort, bruits des pas, bruits des rêves, bruits des langues, bruits du désir, bruits du silence, bruits du
soleil... Voix fragiles, peuplées de rivières, de vies cheminant dans les mêmes sentiers, les mêmes résonnances. Peu
importe si l'on vient d'Amérique, d'Europe, d'Asie, d'Océanie ou d'Afrique. Nous mêlons les cartes d'identité.
Par la force souterraine de l'écriture, nous devenons des voyageurs clandestins dans nos propres pays.
La littérature, libérée des catégories identitaires, respire.
Un chant commun s'élève : la délicate rumeur du monde.